Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/360

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qu’en Dieu ; de part et d’autre, elle est infinie. Le bon sens, un peu court et un peu épais, de Gassend, se révolte. A votre aise, dit Descartes, et dédaigneusement il le rappelle au sentiment intérieur que nous avons tous de notre liberté[1]. Elle va devenir, pour lui, comme un instrument de libération. Il pense trouver en elle la cause de l’erreur, et le moyen de nous en libérer : à la fois donc le mal et le remède[2]. D’une part, en effet, la liberté n’attend pas toujours que l’entendement ait accompli son œuvre, c’est-à-dire ait fait la lumière : elle se précipite, elle emporte le jugement, elle juge en aveugle et se trompe, par sa faute. Mais libre à elle, par contre, de ne pas se tromper, du moins en matière de science, où rien ne presse : elle n’a qu’à s’abstenir, à rester tranquille, jusqu’à ce que soit faite la lumière. La méthode du doute, ainsi mise en pratique, préserve le savant de toute erreur. On dit qu’il est humain de se tromper, errare humanum est ; au contraire, l’homme peut toujours, s’il le veut, éviter l’erreur ; il lui suffit, pour cela, de le vouloir.

Aussitôt, comme pour donner un bel exemple de l’infaillibilité à laquelle, toutes précautions prises, peut prétendre la pensée humaine, il s’en va choisir, comme preuve principale de l’existence de Dieu, non pas la plus populaire, celle des causes finales, qu’il rejette absolument (Gassend le lui reproche assez)[3], mais bien la plus extraordinaire de toutes, la preuve par la seule essence divine, une preuve dont saint Thomas lui-même se méfiait, si bien que Caterus n’aura qu’à reprendre contre Descartes les arguments de saint Thomas[4]. Jadis saint Anselme l’avait proposée le premier, ce semble ; et Mersenne le savait, puisqu’il avait même reproduit cette preuve dans un de ses livres en 1624 ; mais Descartes l’ignorait sans doute, puisque, sur l’indication de Mersenne, il répondit qu’il irait

  1. Tome VII, p. 377, l. 22-28.
  2. Ibid., p. 52-62 (Médit. III). Et t. IX (1re  partie), p. 42-50.
  3. Ibid., p. 308, l. 25, à p. 310, l. 8, et p. 374, l. 20, à p. 375, l. 13.
  4. Ibid., p. 98, l. 2, à p. 99, l. 20.