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Vie de Descartes.

des faux savants, magiciens, alchimistes, astrologues. Déjà, par une disposition naturelle de son esprit, il ne s’étonnait pas facilement, et n’admirait presque rien : l’étonnement, selon lui, est toujours mauvais, et l’admiration même n’est pas toujours bonne. Cette disposition ne pouvait être que confirmée par la familiarité qu’il eut de bonne heure avec des choses réputées merveilleuses, qu’on eut le bon esprit de lui mettre entre les mains pour lui en faire voir l’inanité.

Aussi Descartes se montra toujours reconnaissant envers ses maîtres de La Flèche, et ne manqua aucune occasion de faire leur éloges[1]. Il était sincère en cela, sans aucun doute ; mais il y trouvait bien aussi quelque intérêt. Auteur d’une philosophie nouvelle, il aurait voulu que les Jésuites l’adoptassent, et qu’elle remplaçât Aristote dans leurs collèges. C’est pourquoi il a grand soin d’envoyer son Discours au P. Noël, recteur de La Flèche en 1637, et ses Principes au P. Grandamy, également recteur en 1644. Il sollicite leurs avis et leurs conseils,

  1. Notons cependant ici ces deux déclarations (Relat. MS. de M. Belin) :

    « Quoi qu’il ſe ſentit trés-obligé aux ſoins de ſes Maîtres qui n’avoient rien omis de ce qui dépendoit d’eux pour le ſatisfaire, il ne ſe croioit pourtant pas redevable à ſes études de ce qu’il a fait dans la ſuite pour la recherche de la vérité dans les Arts & les Sciences. Il ne faiſoit pas difficulté d’avouer à ses amis, que quand ſon Père ne l’auroit pas fait étudier, il n’auroit pas laiſſé d’écrire en François les mêmes choses qu’il a écrites en Latin. Il témoignoit souvent que, s’il avoit été de condition à ſe faire Artiſan, & que ſi on lui eût fait apprendre un mêtier étant jeune, il y auroit parfaitement réüſſi, parce qu’il avoit toujours eu une forte inclination pour les Arts. De ſorte que, ne s’étant jamais ſoucié de retenir ce qu’il avoit appris au Collége, c’est merveille qu’il n’ait pas tout oublié, & qu’il ſe ſoit souvent trompé lui-même dans ce qu’il croioit avoir oublié. » (Baillet, t. I, p. 34-35.)

    « (Mais il ſe ſeroit récrié le premier contre cette imagination), luy qui vouloit faire croire à ses amis que, quand ſon père ne l’auroit jamais fait étudier, il n’aurait pas laiſſé d’écrire les mêmes penſées, de la même manière, & peut-être encore mieux qu’il n’a fait. C’est ce qu’il auroit pu nous persuader aisément, si nous considérons, qu’il n’y a rien, de tout ce qu’il a écrit, qu’il n’ait pû concevoir, dicter, & compoſer en sa langue maternelle ; & que ſon ſtile françois, au jugement des Sçavans, eſt préférable de beaucoup à ſon ſtile latin. » (Idem, t. II, p. 470-471.)