Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/79

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première qu’il ait faite en bateau[1] ; c’était pour venir à Middelbourg, voir son ami Beeckman.

Le fait capital de ces cinq mois, novembre 1618 jusqu’en avril 1619, fut certainement cette amitié[2]. On savait déjà que le premier ouvrage de Descartes, Compendium Musicæ, signé et daté de Bréda, 31 décembre 1618, était dédié à Isaac Beeckman[3]. On savait aussi que plus tard leur amitié avait subi une éclipse, sauf à reparaître cependant, bien qu’avec quelques nuages. Mais on ignorait l’aube de cette amitié, et ce qu’elle était dans son premier feu. En 1618, Beeckman avait trente ans, et n’était pas encore le principal du collège de Dordrecht, c’est-à-dire un personnage ; il ne le devint qu’en 1627, après divers emplois à Utrecht et à Rotterdam. C’était simplement un docteur en médecine, et il avait été chercher ce grade en France, le 6 septembre 1618, près de l’Université de Caen : raison de plus de se lier avec un jeune Français, curieux comme lui des sciences de la nature. D’autre part, ce fut une bonne fortune pour notre philosophe, isolé et comme perdu parmi des gens de guerre, de rencontrer, dans le désœuvrement de la vie de garnison, un compagnon d’études, à qui il pût confier ses idées, ses recherches et déjà même ses découvertes. « Je m’endormais et vous m’avez réveillé », dira-t-il à Beeckman[4]. Celui-ci, en effet, par des conversations quotidiennes et d’amicales discussions, empêcha le jeune soldat de céder à la torpeur du milieu et de s’engourdir intellectuellement : il fut pour son esprit comme un agent excitateur. Sans aller jusqu’à dire que nous devons Descartes à Beeckman, celui-ci lui tint lieu un moment de frère aîné, l’aida à se développer, à prendre conscience de lui-même et aussi confiance en lui-même. Tous deux à certains égards se ressemblaient. Descartes ne se donnait pas encore

  1. Tome X, p. 158, l. 10.
  2. Ibid., p. 17-39. Tous les faits que nous ne faisons ici que résumer, se trouvent développés dans cette étude, chacun avec sa date et renvoi aux textes qui l’établissent. Voir aussi p. 47-51.
  3. Ibid., p. 141, l. 13-14. Voir aussi p. 82 et p. 83.
  4. Ibid., p. 151, l. 9, et p. 162, l. 18 : « deſidioſum excitaſti ».