Page:Descartes - Œuvres philosophiques (éd. Desrez), 1838.djvu/323

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objet qui n’a point de bornes en ses perfections nous comble de satisfaction et d’assurance. (34)

20. Que nous ne sommes pas la cause de nous-mêmes, mais que c’est Dieu, et que par conséquent il y a un Dieu.

Mais tout le monde n’y prend pas garde comme il faut, et parce que nous savons assez, lorsque nous avons une idée de quelque machine où il y a beaucoup d’artifice, la façon dont nous l’avons eue, et que nous ne saurions nous souvenir de même quand l’idée que nous avons d’un Dieu nous a été communiquée de Dieu, à cause qu’elle a toujours été en nous, il faut que nous fassions encore cette revue, et que nous recherchions quel est donc l’auteur de notre âme ou de notre pensée qui a en soi l’idée des perfections infinies qui sont en Dieu, parce qu’il est évident que ce qui connaît quelque chose de plus parfait que soi ne s’est point donné l’être , à cause que par même moyen il se serait donné toutes les perfections dont il aurait eu connaissance, et par conséquent qu’il ne saurait subsister par aucun autre que par celui qui possède en effet toutes ces perfections, c’est-à-dire qui est Dieu.

21. Que la seule durée de notre vie suffit pour démontrer que Dieu est.

Je ne crois pas qu’on doute de la vérité de cette démonstration, pourvu qu’on prenne garde à la nature du temps ou de la durée de notre vie ; car, étant telle que ses parties ne dépendent point les unes des autres et n’existent jamais ensemble, de ce que nous sommes maintenant, il ne s’ensuit pas nécessairement que nous soyons un moment après, si quelque cause, à savoir la même qui nous a produits, ne continue à nous produire, c’est-à-dire ne nous conserve. Et nous connaissons aisément qu’il n’y a point de force en nous par laquelle nous puissions subsister ou nous conserver un seul moment, et que celui qui a tant de puissance qu’il nous fait subsister hors de lui et qui nous conserve, doit se conserver soi-même, ou plutôt n’a besoin d’être conservé par qui que ce soit, et enfin qu’il est Dieu.

22. Qu’en connaissant qu’il y a un Dieu en la façon ici expliquée, on connaît aussi tous ses attributs, autant qu’ils peuvent être connus par la seule lumière naturelle.

Nous recevons encore cet avantage, en prouvant de cette sorte l’existence de Dieu, que nous connaissons (35) par même moyen ce qu’il est, autant que le permet la faiblesse de notre nature. Car, faisant réflexion sur l’idée que nous avons naturellement de lui, nous voyons qu’il est éternel, tout-connaissant, tout-puissant, source de toute bonté et vérité, créateur de toutes choses, et qu’enfin il a en soi tout ce en quoi nous pouvons reconnaître quelque perfection infinie ou bien qui n’est bornée d’aucune imperfection.

23. Que Dieu n’est point corporel, et ne connaît point par l’aide des sens comme nous, et n’est point auteur du péché.

Car il y a des choses dans le monde qui sont limitées, et en quelque façon imparfaites, encore que nous remarquions en elles quelques perfections ; mais nous concevons aisément qu’il n’est pas possible qu’aucunes de celles-là soient en Dieu : ainsi, parce que l’extension constitue la nature du corps, et que ce qui est étendu peut être divisé en plusieurs parties, et que cela marque du défaut, nous concluons que Dieu n’est point un corps. Et bien que ce soit un avantage aux hommes d’avoir des sens, néanmoins, à cause que les sentiments se font en nous par des impressions qui viennent d’ailleurs, et que cela témoigne de la dépendance, nous concluons aussi que Dieu n’en a point, mais qu’il entend et veut, non pas encore comme nous par des opérations aucunement différentes, mais que toujours par une même et très simple action, il entend, veut et fait tout, c’est-à-dire toutes les choses qui sont en effet ; car il ne veut point la malice du péché, parce qu’elle n’est rien.

24. Qu’après avoir connu que Dieu est, pour passer à la connaissance des créatures, il se faut souvenir que notre entendement est fini, et la puissance de Dieu, infinie.

Après avoir ainsi connu que Dieu existe et qu’il est l’auteur de tout ce qui est ou qui peut être, nous suivrons sans doute la meilleure méthode dont on se puisse servir pour découvrir la vérité, si, de la connaissance que nous avons de sa nature, nous passons à l’explication des choses qu’il a créées, et si nous essayons de la déduire en telle sorte des notions qui sont naturellement en nos âmes, que nous ayons une science parfaite, c’est-à-dire que nous connaissions les effets par leurs causes. Mais, afin que nous puissions (36) l’entreprendre avec plus de sûreté, nous nous souviendrons toutes les fois que nous voudrons examiner la nature de quelque chose, que Dieu, qui en est l’auteur est infini, et que nous sommes entièrement finis.

25. Et il faut croire tout ce que Dieu a révélé, encore qu’il soit au-dessus de la portée de notre esprit.

Tellement que s’il nous fait la grâce de nous révéler, ou bien à quelques autres, des choses qui surpassent la portée ordinaire de notre esprit, telles que sont les mystères de l’Incarnation et de