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LA MÈRE

Elle ne pensait jamais à ce qu’elle avait écrit, au nom qu’elle laisserait. Elle mourait comme elle avait vécu, dans la sainte ignorance de la vanité littéraire. Elle n’avait été qu’une femme…, pas de lettres, Seigneur ! une femme bien humble, pauvre parmi les pauvres, douce aux affligés, serviable aux malheureux, un cœur altéré d’indulgence et de fidélité, une hirondelle sous sa tuile, une amante trahie, une épouse sans reproche, une mère martyrisée…, une créature humaine enfin, pareille à tant d’autres qui emportent le secret d’une vie intérieure merveilleuse, et qui meurent quand elles n’en peuvent plus d’aimer !

Non, elle ne s’était jamais aveuglée sur son talent… Derrière la colline qu’elle descendait, à peine entendait-elle les prophètes, Lamartine, Hugo, Michelet, Vigny, Sainte-Beuve, Dumas, annoncer aux hommes futurs une consolatrice et sa résurrection d’entre les morts. Elle ne croyait pas que l’écho pût répercuter ces grandes voix amies. Rien ne l’avertissait que, dans la vallée, après sa mort, aux messes dites par Baudelaire Barbey d’Aurevilly, Verlaine, Sully-Prudhomme, Anatole France, un chœur toujours nombreux de fidèles chanterait ces litanies :

Cœurs ruisselants comme les premières feuilles sous une pluie d’avril ;
Cœurs gros, cœurs des petits enfants, aimez-la ;
Cœurs épris, constants et désolés, aimez-la !
Cœurs en cage, asservis à chanter entre la baignoire et l’échaudée, aimez-la !