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Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/180

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MARIVAUX.

On voudrait que le narrateur nous indiquât, d’un trait, sur l’horizon, la silhouette d’un de ces logis d’autrefois, dont les pigeonniers et les toitures d’ardoise apparaissent dans les paysanneries d’Oudry, de Lépicié, de Jean-Paul de Marne, et jusque dans les pastorales de Lancret. Mieux encore, on désirerait que l’auteur nous ouvrît la porte de cette métairie champenoise, qu’il nous fît asseoir, près de la cheminée, sur le banc de bois, devant la table où le maître et les valets mangent du fromage et du pain bis. Nous causerions avec ces rustres. Ils nous mettraient au courant de leurs petites affaires. Du pas de leur porte, nous verrions se découper sur l’horizon les girouettes et les poivrières du manoir seigneurial. Nous saurions combien le fermier doit donner, par an, de gerbes de blé et de cuvées de vin. Nous pourrions apprendre, par la communication de la parole vivante, et non point par de sèches indications, jetées en guise de préface, l’état civil et la notice individuelle des habitants du château. Le fermier nous dirait, avec une malice sournoise, qu’il ne sait point comment son seigneur se nomme, vu que son seigneur a pris un nom de terre, et qu’il a enseveli, sous d’immenses richesses, le nom bourgeois qu’il tenait de ses aïeux.

En dépit du raisonneur de l’École des femmes, l’expérience démontre qu’il vaut mieux, même dans une société démocratique, s’appeler M. de la Souche ou M. de l’Isle, qu’Arnolphe ou Gros-Pierre.

Le seigneur dont dépend notre vigneron champenois, ce seigneur, auquel il ne manque que d’être noble pour être gentilhomme, vient de s’allier à