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Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/23

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SES DÉBUTS DANS LE MONDE ET AU THEÂTRE.

gibecière. Je jugeai de loin que sa vanité en adoptait quelques-uns, qu’elle en réformait d’autres. C’étaient de petites façons qu’on aurait pu noter, et qu’une femme aurait pu apprendre comme un air de musique. Je tremblais du péril que j’aurais couru, si j’avais eu le malheur d’éprouver encore de bonne foi ses friponneries, au point de perfection où son habileté les portait. Mais je l’avais crue naturelle, et ne l’avais aimée que sur ce pied-là. De sorte que mon amour cessa tout d’un coup, comme si mon cœur ne s’était attendri que sous condition. Elle m’aperçut à son tour dans son miroir, et rougit. Pour moi j’entrai en riant, et ramassant mon gant :

« Ah ! mademoiselle, je vous demande pardon, lui dis-je, d’avoir mis jusqu’ici sur le compte de la nature des appâts dont tout l’honneur n’est dû qu’à votre industrie ? — Qu’est-te que c’est ? que signifie ce discours ? me répondit-elle. — Vous parlerai-je plus franchement ? lui dis-je ; je viens de voir les machines de l’Opéra ; il me divertira toujours, mais il me touchera moins. »

« Je sortis là-dessus ; et c’est de cette aventure que naquit en moi cette misanthropie qui ne m’a point quitté, et qui m’a fait passer ma vie à examiner les hommes et à m’amuser de mes réflexions. »

Cette réponse cruelle est peut-être la seule faute de goût et de savoir-vivre que Marivaux ait jamais commise. On peut l’excuser en faveur du sincère chagrin qui s’y montre.

Toute sa vie, Marivaux aima la simplicité, qui ne semble pourtant pas sa qualité principale. Il l’a aimée comme un bien qu’il aurait perdu. Ne nous y