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Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/74

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MARIVAUX.

pour lui-même l’aurait mis plus mal à son aise que la plus triste sensibilité ». Il insista :

« Mademoiselle, vous me paraissez dans une grande peine. Que vous est-il arrivé ?

— Puisque vous avez la bonté, dit-elle, de prendre part à mon affliction, je vais vous en instruire…. »

Et ce fut un long récit. Le père de cette jeune personne avait été un homme considérable en province. Il était mort prématurément, laissant des affaires assez embarrassées, une veuve malade et trois filles. Un procès malheureux avait achevé la ruine de cette famille. Les juges, mal disposés pour des plaideurs sans argent et sans « épices », avaient été sourds à toutes les prières. Que faire, en une telle extrémité ?

« Hélas ! monsieur, poursuivit en sanglotant cette jeune infortunée, un riche bourgeois m’offre tous les secours possibles. Mais quels secours, monsieur ! Ils sauveraient la vie de ma mère ; ils déshonoreraient éternellement la mienne ; voilà mon état, en est-il de plus terrible ? J’aime ma mère, j’en suis aimée, elle meurt, cela me fait trembler pour nous deux. Dans mon affliction, je lui ai dit les offres de l’homme dont je vous parle. À mon récit, j’ai cru qu’elle allait expirer entre mes bras ; elle m’a baignée de ses larmes, elle a jeté sur moi des yeux tout égarés, et s’est retournée de l’autre côté, sans me dire une seule parole…. »

Marivaux tira quelques écus de sa poche et les remit à la jeune fille, en y joignant quelques conseils. Il songea que beaucoup de pauvres filles n’ont d’autre tort que de n’avoir pas rencontré sur leur route un