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le p’tit gars du colon

l’hiver s’annonce. Et ta grange, peu vaste pourtant, sera-t-elle pleine… à moitié ? dis, François, à moitié ? pas même… De quoi vivras-tu, ces longs mois de froidure, d’une récolte manquée à l’autre, qui n’est qu’une promesse lointaine ?… »

Et lui voulait vivre. Que pense-t-il à vivre, quand la mort est assise à sa porte, fantôme hideux, attendant le signal du maître pour entrer, saisir sa victime, et disparaître… Quelle force l’arrêtera ? La prière ? Il est chrétien : sait-il encore prier ? jusqu’au miracle ? Quelle formule ? Pourquoi des formules ? Un cri suffirait : « Au secours, mon Dieu ! »

Voici la croix du chemin qu’il a plantée pour la bénédiction de son lot… de son lot de misère… Il a dit cela : son lot de misère, sombrement, presque en blasphémant.

Pauvre cœur humain !… Après quinze ans d’enthousiasme confiant, ces lèvres qui chantaient l’avenir, martèlent trois mots d’abattement parce qu’une épreuve frappe sa récolte et son foyer. Son lot de misère !…

Voilà bien la vérité : la force de cet homme fort était une faiblesse ; elle ne s’alimentait pas en lui-même ; vienne à tarir la source où elle buvait, confiante et illusionnée, son énergie succomberait…

Il en tremblait.

Devant la croix, il s’est découvert. Pourquoi