Page:Desjardins - Esquisses et Impressions, 1889.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diaire entre un mandarin chinois et un jongleur hindou. Voilà pourquoi cette discussion sur le caractère vrai de la poésie n’a été qu’un perpétuel et inconscient malentendu. Le public a applaudi l’un et l’autre orateur, se laissant gagner successivement par deux vérités apparentes et momentanées. C’est le talent sans doute qu’il applaudissait : alors il avait deux fois raison.

La malignité de M. Dumas envers la mémoire de Hugo était attendue et n’a surpris personne. M. Dumas ne pense jamais à son propre successeur. Mais ce qu’il faut reconnaître, c’est que le seul reproche qu’il ait fait au grand ami de son père n’est pas d’ordre littéraire. Il n’a complaisamment exposé aux sourires que la prodigieuse vanité du poète. Hélas ! c’est un travers de métier, et la prose n’en sauve pas toujours. Chateaubriand était jaloux de Napoléon ; Lamartine était jaloux de Jésus-Christ ; Victor Hugo, arrivant le troisième, ne fut plus jaloux de personne. Voilà pour les morts : ne parlons pas des vivants.

Si Victor Hugo changea souvent d’opinion et de parti, ce n’est pas, je crois, dans l’unique intérêt de sa gloire : il changea comme la France changea elle-même. M. Leconte de Liste l’a bien dit : il avait incarné « en quelque sorte la conscience agitée de son siècle », de ce siècle qui ne portera pas le nom de Victor Hugo, mais ne portera le nom d’aucun homme, parce qu’il a pour caractère d’être précisément le siècle de tous les hommes. Le poète lui-même n’a pas été seulement un grand versificateur, comme le veut