Page:Desperiers - Cymbalum mundi, Delahays, 1858.djvu/253

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femme vefve bien jolie et qui estoit fort contente de se veoir aymée, donnant tousjours quelques nouveaux attraitz[1] à ceux qui la rogardoyent, et prenant plaisir à faire l’anatomie des cueurs des jeunes gens ; mais elle ne faisoit compte sinon de ceux que bon lui sembloit, et encores des moins dignes, et par sus tous elle vous sçavoit mener ce jeune homme, dont nous parlons, de telle ruse, qu’elle sembloit tout vouloir faire pour luy. Il parloit à elle seul à seule ; il manioit le tetin et baisoit voyre, et touchoit bien souvent à la chair, mais il n’en tastoit point, tellement qu’il mouroit tout en vie[2] auprès d’elle. Il la prioit, il la conjuroit, il luy presentoit[3], mais il n’en pouvoit rien avoir, fors qu’une fois, ainsi comme ilz devisoyent ensemble en privé[4] et qu’il luy comptoit bien expressément son cas, elle luy va dire : « Non, je n’en feray rien, si vous ne me baisez derrière, » disant le mot tout outre, mais pensant en elle qu’il ne le feroit jamais. Le jeune homme fut fort honteux de ce mot ; toutesfois, luy, qui avoit essayé tant de moyens, se pensa qu’il feroit encores cela, et qu’aussi bien personne n’en scauroit rien ; et luy respondit, s’il ne tenoit qu’à cela pour luy complaire, qu’il n’en feroit point de difficulté. La dame, estant prinse au mot, l’y print aussi et se fait baiser le derrière sans fueille. Mais, quand ce fut à donner sus le devant, point de nouvelles ; elle ne fit que se rire de luy et luy dire les plus grandes mocqueries du monde : dont il cuida désespérer, et s’en départit le plus fasché que fut jamais homme, sans toutesfois se pouvoir départir d’alentour d’elle, fors qu’il s’absenta pour quelque temps, de honte qu’il avoit de se trouver non seulement devant elle, mais devant les gens, comme si tout le monde eust deu congnoistre ce qu’il luy estoit advenu. Une fois, il s’adressa à une vieille qui congnoissoit bien la jeune dame, et luy dit sus le propos de son affaire : « Vien çà ! N’est-il pas possible que j’aye cette femme-là ? Ne sçaurois-tu inventer quelque bon moyen pour me tirer de la peine où je suis ? Asseure-toy, si tu la me veux mettre en main, que je te donneray la meilleure robbe que tu vestis de ta vie. » La vieille l’en reconforta et luy promit d’y faire tout ce qu’elle

  1. Amorces, appâts.
  2. Équivoque libre très-populaire.
  3. C’est-à-dire : il lui faisait des présents.
  4. En particulier ; du latin privatim.