Page:Desportes - Premières œuvres (éd. 1600) III - Cleonice. Dernières Amours.djvu/4

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  CLEONICE,  



VI.


Qui voit vos yeux diuins ſi pronts à decocher,
Et ne perd auſſi toſt le cœur, l’ame & l’audace :
N’eſt pas homme viuant, c’eſt vn morceau de glace,
Vne ſouche inſenſsible, ou quelque vieux rocher :

Qui ne voit point vos yeux doit les ſiens arracher,
Et maudire le Ciel qui ce mal luy pourchaſſe :
Ie ne voudrois point d’yeux priué de tant de grace,
Car tous autres obiets ne font que me faſcher.

On doute de ces deux la meilleure auanture,
De cil qui pour les voir à la mort s’auanture,
Ou qui ne les voyant euite ſon treſpas.

Perdre la vie eſt tout, c’eſt le dernier naufrage :
Telle perte pourtant ne m’en priueroit pas,
Car qui ne les voit point perd beaucoup dauantage.


VII.


Plus i’ay de connoiſſance, & plus ie determine
De n’aimer rien que vous seule digne de moy,
Digne de m’enlacer d’vne eternelle foy,
Et que tous mes deſirs aynt de vous origine :

Belle race du Ciel ame claire & diuine,
Seule toute mon Tout, ma creance & ma loy,
Ie reſpire par vous, ſans vous rien ie ne voy,
Et ſi i’ay bien ou mal voſtre œil me le deſtine.

Que i’eſtoy malheureux ne vous connoiſſant pas !
Comme vn qui va de nuict ie chopois tous les pas,
Et prenois pour ma guide vne foible eſtincelle :

Depuis le Ciel benin pour me recompenſer
Me fit voir vn Soleil, dont la flamme eſt ſi belle,
Qu’on n’en peut approcher ſeulement du penſer.