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  DERNIÈRES AMOURS. 121



XII.


O iournee inconſtante, heureuſe & malheureuſe,
Extreme en tous les deux, inconſtant comme toy
Ie ne ſçay ſi maudire ou louer ie te doy,
Tant tu m’es à la fois & douce & rigoureuſe !

Fut il onc aux Enfers ame ſi douloureuſe ?
Les Cieux ont ils vn Dieu ſi fortuné que moy ?
Mille extremes faueurs ont bien-heuré ma foy,
Mille extremes rigueurs la rendent langoureuſe.

Ne puißé-ie iamais de toy me ſouuenir :
Mais puißé-ie touſiours ce penſer retenir,
Qui durant mon exil ſi doucement me touche.

Que d’eſtranges chaos en moy ſe remeſloyent !
Son propos me chaſſoit, ſes yeux me rappelloyent :
Dieu que i’aime ſes yeux, & que ie hay ſa bouche !


XIII.


Les celeſtes beautez d’vne heureuſe ieuneſſe,
Vn orgueil plein d’attraits, vne honneſte rigueur,
En ſilence vn parler qui deſcouure le cueur,
Vn modeſte deſdain, le port d’vne Deeſſe :

Deſſous des cheueux blonds vne meure ſageſſe,
Vn œil comblant l’eſprit d’amoureuſe langueur,
Qui de tout ce qu’il voit eſt monarq͂ & vaincueur,
Qui gele & fait brûler, qui guariſt & qui bleſſe :

Vn eſprit tout diuin le Ciel meſme eſtonnant,
Vn propos qui les cœurs à ſon gré va tournant,
Neige, ebene, coral, lis & roſes vermeilles,

Et mille autres threſors de Nature & des Cieux,
De l’œil & de l’eſprit la gloire & les merueilles,
Sont de ma liberté les tyrans gracieux.