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  DIANE,  
II. Dialogue.

Arreſte vn peu, mon Cœur, où vas-tu ſi courant ?
Ie vay trouuer les yeux qui ſain me peuuent rendre.
Ie te prie atten moy. Ie ne te puis attendre,
Ie ſuis preßé du feu qui me va deuorant.

Il faut bien, ô mon Cœur, que tu ſois ignorant,
De ne pouuoir encor ta miſere comprendre :
Ces yeux d’vn ſeul regard te reduiront en cendre :
Ce ſont tes ennemis, t’iront-ils ſecourant ?

Enuers ſes ennemis ſi doucement on n’vſe :
Ces yeux ne ſont ſoint tels. Ah c’eſt ce qui t’abuſe !
Le fin Berger ſurprend l’oiſeau par des appas.

Tu t’abuſes toy-meſme, où tu me porte enuie :
Car l’oiſeau malheureux s’enuolle à ſon treſpas,
Moy ie volle à des yeux qui me donnent la vie.


III.

Si ie me ſiés à l’ombre, auſſi ſoudainement
Amour, laiſſant ſon arc, s’aſſied et ſe repoſe;
Si ie penſe à des vers, ie le voy qui compoſe :
Si ie plains mes douleurs, il ſe plaint hautement.

Si ie me plais au mal, il accroiſt mon tourment :
Si ie reſpan des pleurs, ſon viſage il arroſe :
Si ie monſtre la playe en ma poitrine encloſe,
Il défait ſon bandeau l’eſſuyant doucement.

Si ie vay par les bois, aux bois il m’accompagne :
Si ie me ſuis cruel, dans mon ſang il ſe bagne.
Si ie vais à la guerre, il deuient mon ſoldart.

Si ie paſſe la mer, il conduit ma nacelle :
Bref, iamais l’inhumain de moy ne ſe depart,
Pour rendre mon deſir & ma peine eternelle.