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contradiction d’une forme lyrique et de pensées tout artificielles.

Le lyrisme, c’est l’emportement juvénil, le tourbillonnement tempétueux des images et des idées. Musset a fait le portrait du poète lyrique, son propre portrait :


Celui qui ne sait pas, durant les nuits brûlantes
Qui font pâlir d’amour l’étoile de Vénus,
Se lever en sursaut, sans raison, les pieds nus,
Marcher, prier, pleurer des larmes ruisselantes,
Et devant l’infini joindre des mains tremblantes,
Le cœur plein de pitié pour des maux inconnus ;

Que celui-là rature et barbouille à son aise,
Il peut, tant qu’il voudra, rimer à tour de bras,
Ravauder l’oripeau qu’on appelle antithèse,
Et s’en aller ainsi jusqu’au Père-Lachaise,
Traînant à ses talons tous les sots d’ici-bas ;
Grand homme, si l’on veut ; mais poète, non pas.


Au contraire, la nouvelle poésie bâtarde affiche ce programme :


Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure, et jamais je ne ris.


Pose bien plus choquante que la pose débraillée des premiers romantiques. L’apathie est à la mode. Aussi va-t-on s’égarer, à court d’inspiration et d’art, dans les mièvreries à la Gautier et les étrangetés à la Baudelaire. Ces deux poètes sont les maîtres de la génération grandissante.

Le ciseau de Gautier donne des finesses d’orfèvrerie à la moindre chose. Le travail vaut mieux que la matière. Dans toutes les poésies des dernières années, réunies sous le titre d’Émaux et Camées, cet art léché triomphe. Pas de bavures, mais aussi pas d’inspirations remuantes ; de la poésie en miniature. L’influence de Baudelaire, plus sensible encore, ne