Page:Desprez - L’Évolution naturaliste, 1884.djvu/276

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mais, en haine des platitudes contemporaines, se laisse bercer par les siècles morts, hante les cimetières comme Michelet, « passe à côté du monde, prend l’histoire pour la vie »[1].


Où sont les dieux promis, les formes idéales,
Les grands cultes de pourpre et de gloire vêtus,
Et dans les cieux ouvrant ses ailes triomphales
La blanche ascension des sereines vertus ?


Les vers de M. Leconte de Lisle ont une sonorité merveilleuse, mais l’idée se perd souvent dans ce fracas de bronze.

Autre sérénité :

M. Théodore de Banville.

M. de Banville plane dans des régions inaccessibles au vulgaire, d’un vol si égal et si sûr qu’on ne craint pas de le voir briser ses ailes. Il refuse de sortir de sa sphère idéale ; l’humanité n’existe pas pour lui. Il est content lorsqu’il parvient à accoupler des rimes riches. Je comprends peu cette poésie laborieuse. Pourtant, les Odes funambulesques, amusante parodie des Orientales, comptent dans la poésie contemporaine.

M. de Banville a des disciples : en première ligne, M. Armand Silvestre, un conteur très gaulois, très rabelaisien, qui, de temps en temps, donne un coup d’aile et s’envole plus loin encore du monde moderne que son maître. Voir les Gloires du souvenir et le Pays des roses.

M. Armand Silvestre est un panthéiste, un hiérophante. Nul mieux que lui n’a chanté l’âme des choses et n’a enveloppé la nature d’une mélancolie sacrée ; il flotte dans ses poèmes une lumière diffuse, grise et mystérieuse qui noie les arrière-plans dans le vague

  1. Michelet. Histoire de France. — Préface de 1869.