Page:Desprez - L’Évolution naturaliste, 1884.djvu/282

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voluptés raffinées. Recherche morbide qui imprègne aussi le style.

À son retour, Baudelaire se trouva mêlé aux fils directs des écrivains de 1830, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, M. Arsène Houssaye, M. Maxime Du Camp, M. Théodore de Banville.

Les premières années de l’écrivain expliquent l’amertume de son inspiration et dissipent l’obscurité de certains poèmes, la sombre Bénédiction, par exemple.


Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage
Traversé cà et là par de brillants soleils.


Mais les ciselures de la forme baudelairienne témoignent du premier milieu.

C’est l’école de l’art pour l’art qui a communiqué au poète son purisme et son amour des sonorités. « Baudelaire, dit M. LéonCladel, dansune dédicace qui a l’air d’une apothéose, l’emporta sur tous par sa probité littéraire. Un mot le préoccupait au point de l’empêcher de dormir pendant huit nuits consécutives, une phrase le persécutait un mois durant, telle page des années ; et c’est ainsi qu’au prix des plus cruels sacrifices il forma vers à vers sa poésie, ligne à ligne sa prose[1] ». Avec ces tendances, il ne pouvait tomber mieux que dans le cercle où Théophile Gautier régnait, professeur savant de style, « parfait magicien ès-lettres françaises », parvenant au moyen des mots à rendre la couleur et même l’odeur des choses, mais écrivain de décadence malgré ses belles facultés ou plutôt à cause de ces facultés mêmes. L’esprit quintessencié de Baudelaire où toute sensation simple se compliquait, où tout sentiment s’alambiquait, qui raffinait sur l’étrange

  1. La Fête votive.