Page:Desprez - L’Évolution naturaliste, 1884.djvu/39

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deux plis épais obliquant vers les chevilles, tandis que le reste de l’empeigne se continuait en ligne droite, tendu comme un pied de bois. Il disait que c’était bien assez bon pour la campagne[1]. »

Ces faits menus, qui montrent bien le prosaïsme du pauvre homme, ne sont pas précisés sans intention par Flaubert. Avez-vous remarqué combien, lorsque nous avons de l’aversion pour une personne, sa manière d’être, ses moindres gestes agacent les nerfs, tandis qu’au contraire chez une personne que nous aimons, les gestes les plus banaux, les paroles même choquantes, seront non seulement excusés, mais admirés, mais aimés ?

Comme on sent qu’Emma, servant le dîner de Bovary et écoutant ses racontars avec une moue de dédain aux lèvres, devait « percevoir un autre homme. Il habitait la contrée bleuâtre où les échelles de soie se balancent à des balcons, sous le souffle des fleurs, dans la clarté de la lune. Elle le sentait près d’elle, il allait venir et l’enlèverait tout entière dans un baiser. Ensuite elle retombait à plat, brisée ; car ces élans d’amour vague la fatiguaient plus que de grandes débauches[2]. »

Que l’apparence de cet amant idéal se présente ; que ce soit Léon, le petit clerc d’avoué élégiaque, ou Rodolphe, le gentilhomme bellâtre, et madame Bovary se jettera dans ses bras. Non qu’il n’y ait lutte en elle. Elle cherche d’abord à verser dans l’oreille d’un prêtre le trop-plein de ses espérances et de ses douleurs vagues, à s’enivrer d’élans voluptueux dans la griserie de l’encens et des fleurs, comme aux jours de son enfance, mais elle se heurte à

  1. Madame Bovary, p. 45.
  2. Madame Bovary, p. 322.