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commencements

Dans ces abris trop étroits, quelle posture prendre ? « Il faut être toujours couché ou assis sur la plate terre », dit le père Le Jeune ; il faut s’adosser à la neige ; et, même alors, le feu se trouve trop rapproché ; pour peu que les flammes s’élèvent, la situation devient vite intolérable. Ce foyer « me rotissait parfois et me grillait de tous côtés » ; et si l’ardeur s’en éteint, le froid tombe sur les épaules, glacial et soudain. D’autre part, dans ces asiles encombrés, les nombreux chiens rapaces, toujours en mouvement, se promènent sans cesse ; pour peu que la famine sévisse, ils dépensent leur nuit dans une quête sans fin parmi les dormeurs.

Quant à la nourriture, elle est infecte ; un estomac solide seul peut s’y habituer. « Ils ne salent ni leurs bouillons, ni leurs viandes, dit le père, et… la saleté même fait leur cuisine. Je ne pouvais manger leur salmigondis, je me contentais d’un peu de galette et d’un peu d’anguille boucannée. » En un autre passage, le missionnaire trace le tableau suivant, plus complet : « L’avenue de leurs cabanes, dit-il, est une grange à pourceaux. Jamais ils ne balayent leur maison. Pour leur manger, il est tant soit peu plus net que la mangeaille que l’on donne aux animaux, et non pas encore toujours… Je les ai vus cent fois patrouiller dans la chaudière, où était nôtre boisson commune, y laver leurs mains, y boire à pleine tête comme les bêtes, rejeter leurs restes là-dedans… y fourrer des bâtons demi brûlés et pleins de cendre, y plonger leur vaisselle d’écorce pleine de graisse, de poils d’orignaux, de cheveux, y puiser de l’eau avec des chaudrons noirs comme la cheminée ; et après tout cela, nous boirons tous de ce brouet, noir comme de l’ambroisie… Ils rejettent là-dedans les os qu’ils ont rongés ». Champlain et Sagard peuvent ajouter de nombreux détails savoureux sur ce chapitre. Tous les deux parlent de quartiers de viande posés par terre, solidement maintenus avec les pieds pour les couper ou les hacher plus facilement, de charognes jetées