Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/161

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les sons rythmés du violon qui semblent venir d’infiniment loin, d’un autre monde, scandent les battements de pieds sur le plancher.

Soudain, dominant tout ce tapage, des voix prises de panique crient au dehors :

— Les Gens du Large nous flèchent, les Gens du Large nous flèchent.

Tout s’arrête dans une commotion. Pâle, au milieu du silence, Montour apparaît, venant on ne sait d’où. Les gardiens des autres forts entrent avec Philippe Lelâcheur.

Montour ordonne de fermer les portes. Il arme cette population désemparée qui court aux bastions.

D’abord, tout est silence et ténèbres dans la campagne. Puis l’incendie éclate : les deux forts voisins brûlent. Des silhouettes noires passent devant les flammes. Puis des cavaliers viennent tourner autour des palissades de la Compagnie du Nord-Ouest ; ils exécutent une fantasia furieuse, tirent des coups de fusil et s’éloignent.

Nicolas Montour éprouve une peur abjecte, semble-t-il ; il court entre les bâtisses, il tend des armes à tout le monde, il ordonne de tirer le pierrier, il supplie chaque engagé de défendre le poste jusqu’à la mort. Dans son excitation, il transporte lui-même hors des entrepôts des hachettes et de vieilles canardières qu’il tend aux sauvagesses affolées.

— Le bourgeoys n’a pas de courage à revendre, murmure Philippe Lelâcheur, goguenard.

Colérique, M. Hughes veut exécuter une sortie. Mais que faire de ces engagés titubants et mal dégrisés ?

L’aube vient enfin. On aperçoit les nombreux chevaux des Gros-Ventres. Chacun tire, attachées au col, de longues perches qui traînent sur le sol, et sont réunies au bout par des lanières de cuir ; sur ces travails, les Indiens ont lié des ballots, des sacs, des cassettes. La troupe s’ébranle ; elle descend la rive, franchit la glace couverte de neige, s’éloigne dans la direction du Sud. Les deux chantiers brûlés fument ; bientôt,

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