Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/180

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interposées. Toute sa cabale, organisée avec perfection, dans ses détails, au fort Vermillon, durant l’hiver, est là pour appliquer sa pensée et exécuter ses ordres. Elle donne l’impression d’agir de son propre chef ; elle ne compromet pas celui qui la dirige et qui attend maintenant de loin la capitulation.

Avec ensemble, elle se met au travail. Assez prier, assez supplier, assez s’abaisser. C’est comme si Montour disait :

— Tu ne veux pas être traiteur comme on te le propose ? Eh bien, tu éprouveras toutes les fatigues et tous les affronts qu’un milieu peut endurer. Tu ne veux pas conduire ? Alors, tu seras conduit à coups de pied et à coups de botte.

Et la convalescence de Turenne, au lieu de le protéger, n’est plus qu’un nouvel atout dans le jeu de son adversaire. S’il était resté en bonne santé, fort comme autrefois, non impressionnable, peu nerveux, les nouvelles tactiques n’auraient aucune chance d’aboutir. Mais Montour l’a examiné des pieds à la tête, il a vu que cette faiblesse serait son meilleur auxiliaire, et, durement, il a décidé d’en jouer.

Aussi, dès le départ des Grandes Fourches, finies les courbettes, les flatteries, les attentions. Dans son corps sensible, le gouvernail sent le changement d’atmosphère, comme si l’hiver avait succédé subitement à l’été.

Désormais les plus durs travaux sont réservés à Louison Turenne. Les corvées supplémentaires retombent sur lui, le soir. Il y a toujours des canots à réparer, des pagaies à fabriquer, des lits à transporter. Et jamais Nicolas Montour lui-même ne donne l’ordre : José Paul, Guillaume d’Eau, Provençal arrivent, se dandinant, la pipe à la bouche, et lui donnent un bref commandement insultant. Quelquefois l’ordre n’a pas de sens commun : la tente doit être élevée ici, puis démontée, puis transportée ailleurs, puis ramenée à son emplacement primitif.

Turenne ne peut plus aller à la pêche. Juste au moment où il part pour se reposer un peu dans le silence, la solitude, la paix ; juste à la minute où il se lève pour goûter enfin la

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