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quelques heures de désœuvrement du guide ; il parle fort, comme un homme sans finesse, d’une voix aigre que l’on entend d’une bonne distance.

— Vous savez, ce métier me fatigue ; je ne sais si je pourrai résister.

— Oui ? Vous y pensez bien tard.

— Ces bains continuels dans l’eau glaciale me refroidissent jusqu’aux moelles.

— Je n’y peux rien.

— Vous avez la bonne manière de commander votre brigade. Les voyageurs vous estiment.

À quoi veut-il en venir ? pense Cournoyer qui écoute placidement, les yeux à demi fermés.

— Vous avez un gouvernail qui semble… comment dirais-je ? … dangereux. Il vaut mieux que vous soyez averti, n’est-ce pas ?… Vous rappelez-vous votre voyage de retour, avec les pelleteries, en 1798, dans l’automne, très tard ? François Lendormy forma un complot : lui et ses complices, ils brisaient l’un des canots contre des pierres, tous les deux ou trois jours, afin de vous imposer quelques heures de dégras.

Ses épais sourcils froncés, Cournoyer écoute bien, cette fois ; ces paroles confirment quelques soupçons qui l’avaient effleuré dans le temps.

— Maintenant, il n’ouvre plus la bouche que pour invectiver contre les Bourgeoys, la Compagnie.

Une ardente passion anime les paroles de Montour.

— Ces discours ne font pas de bien parmi les engagés ; un incident peut se produire…

Mais la subtilité ne manque pas au guide. À mesure que Montour parle, il note au passage, comme des personnages que ne peuvent déguiser les oripeaux de la parole, la flatterie, la délation, les plaintes contre le métier de voyageur. Quel est le dessein du milieu ? Obtenir l’emploi de François Lendormy ?…

Alors que toute la brigade considère encore Montour comme un être disgracié, le guide ajuste, depuis le départ de Montréal,

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