Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Lendormy dit qu’il est fatigué ; il ne veut pas fournir d’heures de travail supplémentaires. Sa tâche est assez lourde.

En réalité, Montour n’a jamais communiqué au gouvernail la demande du guide.

Le lendemain, il pleut sur la forêt triste ; les gouttes de pluie, comme du terne plomb fondu, giclent autour d’eux.

— Nous devrions dégrader par une journée pareille, dit Montour au gouvernail. Ne trouves-tu pas ? Pourquoi n’en dis-tu pas un mot au guide, tu le connais bien, toi ?

Un sourire ironique aux lèvres, Cournoyer écoute cette supplique :

— Savez-vous que nous allons au Grand Portage, Lendormy ? Ce n’est pas à la porte, vous savez.

Nul plus que le guide n’est jaloux de son autorité. Si un inférieur discute les dispositions qu’il a prises, il entre aussitôt dans une colère mal réprimée.

Ainsi, l’esprit prompt, délié, Nicolas Montour s’approche souvent de François Lendormy, la figure congestionnée. Il lui inspire des paroles ou des actes, selon les circonstances. Ses fréquentations, ses allées et venues dans le camp l’ont mis au courant de tout ; il sait tout, et ainsi il peut manœuvrer à sa guise son compagnon, moins bien informé.

Sous cette impulsion adroite, François Lendormy commet des incartades continuelles envers ses chefs. En peu de temps, ses amis d’hier sont indisposés contre lui. Seul, Turenne continue à voir assidûment le gouvernail ; il l’interroge avec prudence ; il veut se former une opinion sur Nicolas Montour et comprendre.

Mais François Lendormy se tient presque continuellement avec Nicolas Montour, surtout le soir. Et celui-ci revient toujours au sujet capital. Il a vécu à Montréal, lui ; il a connu la richesse et les orgies des Bourgeoys, lui ; il a entendu parler de leurs gaspillages. Est-ce pour ces dissipations si folles et si vaines que la Compagnie vole les Indiens, exploite et maltraite tout un peuple de voyageurs ? Sa mémoire et son imagination lui fournissent une chronique épicée.

[ 24 ]