Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/35

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Montour se donne l’air de peser équitablement dans une balance le pour et le contre. Il se lamente sur son sort : chaque soir, exténué à ne pouvoir dormir, il tousse ; ses pieds sont pelés et, le matin, le font souffrir terriblement malgré toutes les huiles.

— Bien… François Lendormy ne tient maintenant à son emploi que par un fil : un gouvernail ne peut se permettre impunément les propos qu’il a tenus… Vous savez, dans le cas de récidive, j’interviendrais moi-même… Un motif, une autre raison sérieuse…

— Oui. Bien. De toute façon, comptez sur moi, Monsieur Cournoyer.

— Je sais que nous nous entendrons bien.

Cournoyer ne se leurre pas de mots : le marché qu’il vient de conclure est odieux. Montour établira certainement autour de François Lendormy une surveillance de tous les instants ; et si ce dernier ne fournit pas l’occasion d’une mesure disciplinaire, Montour lui inspirera l’acte répréhensible. Mais le guide a besoin de renseignements exacts.

Demander un service, voilà qui va tout seul. Mais avant de l’obtenir, celui qui le demande reçoit à son tour une requête s’il a affaire à un homme aussi habile qu’audacieux ; et il ne lui est rien donné tant qu’il n’a pas donné, ou n’est pas prêt à donner lui-même.

« Donnant, donnant », troc pur et simple, voilà la dure loi inscrite sur la pierre des relations non fondées sur l’amitié ; et même…

Avant de s’adresser à Montour, Cournoyer avait prévu des exigences. Ordinairement, il les prévenait par de nombreux services ; ou bien, il savait ce que son interlocuteur exigerait en retour, et il l’offrait immédiatement. Cette fois, il avait manqué à sa ligne de conduite ; ce milieu, pensait-il, n’aurait ni l’aplomb, ni l’adresse de poser son prix. Mais il s’était trompé : Montour avait plus d’expérience que le guide n’avait supposé ; il n’avait pas raté l’occasion. De plus, il lui avait

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