Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

laisse couler entre des arbres un mince filet de fumée, les yeux noirs d’un enfant à travers les buissons d’une rive rapprochée, un canot qui s’éloigne à force de rames vers on ne sait quelle destination inconnue, là-bas, le long d’une grève sablonneuse.

Pendant que l’enthousiasme naît dans le cœur des mariniers, Montour guette. Il attend l’occasion de prendre Lendormy en défaut ou de créer de toutes pièces un piège infaillible. Ses yeux durs observent tout. Comme il réussirait vite, s’il avait des complices.

Un soir, la brigade relâche à Thessalon où la Compagnie du Nord-Ouest a construit une factorerie. Le bivac s’établit sur une pointe couverte de grosses pierres. Des engagés partent aussitôt pour la pêche et rapportent du poisson blanc.

— Ce serait parfait, dit Montour à Lendormy, si nous avions un peu de farine pour rouler le tollibi avant de le faire frire.

Montour est assis à terre, tout occupé à son travail, semble-t-il ; il parle lentement, un peu sourdement. Un coup habile de couteau : la tête du poisson qu’il prépare tombe. Ses mains sont poisseuses et sanglantes. Quelques paroles encore. Et dès que le gouvernail tourne les yeux d’un autre côté, vite, Montour jette sur lui un regard rapide qui l’effleure et revient devant lui.

— Oui, malheur de sort. Mais où prendre la farine dans ce sacré pays maudit ?

— Le guide a ouvert l’un des sacs, je l’ai vu… Cournoyer doit être entré dans le fort maintenant ; il y restera une couple d’heures au moins.

— Oui ?

Un silence ; au repos, le couteau de Montour pend dans une main inerte.

— Je vais jeter un coup d’œil de ce côté.

— C’est ça… Moi, je descends au lac laver le poisson. Lendormy disparaît, puis Montour, agile sur ses courtes jambes, les bras éloignés du corps.

Une simple jointée de farine. Il n’en faut pas plus. Le poisson blanc rôtit dans la poêle ; un savoureux parfum monte

[ 35 ]