Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/61

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ont un accent d’émotion. Elles pleurent, elles se lamentent.

— Alors, en face, de l’autre côté du lac, les brigades de la Compagnie de la baie d’Hudson débouchent dans le pays des pelleteries ?

— Oui. Les Anglais arrivent par là… Les navires leur apportent leurs marchandises de traite à quelque 300 milles d’ici ; à nous, ils les apportent à Montréal, bien près de 2,000 milles… Tu saisis ?

— La différence est considérable.

— La différence ? Mon bon… Ils ont quatre mois d’avance sur nous. Pense au voyage en canot que tu viens d’accomplir, à celui du retour, au printemps. Eux, il leur est épargné…

— Comment la Compagnie de la baie d’Hudson, aux portes du fleuve Churchill, de la rivière Rouge, de la Saskatchewan, de l’Assiniboine, ne nous a-t-elle pas coupé l’herbe sous le pied, partout ?

Le Bancroche fume : ses yeux expriment toute la fatigue accumulée pendant vingt années de courses dans les pays d’En-Haut.

— Comment ? L’histoire est tellement invraisemblable… Vois-tu, elle n’a pas notre initiative, notre audace, notre connaissance des tribus indiennes. Parmi nous, pas de fonctionnaires empotés et prudents ; nos engagés n’engraissent pas des vaches ou des cochons ; ils ne coupent pas du foin autour des forts ; ils ne craignent pas les Indiens, ni les rapides, ni la forêt… Tu ne sais pas encore quelle bande d’aventuriers nous sommes… Et notre personnel est formé à notre image. As-tu jamais vu hommes plus endurcis à la misère, plus habiles à la manœuvre des canots ? S’il fallait leur verser des gages équitables… Et les Indiens les aiment, ils vous aiment, vous, les Français ; vous les attirez à nos forts.

Les bons tours que nous avons joués à la Compagnie de la baie d’Hudson ! Je n’en terminerais jamais le récit. Les Indiens interceptés à l’intérieur lorsque les Anglais les attendaient, confortablement installés dans leurs forts de la côte ; les dérouines pour mettre la main sur les fourrures qu’ils

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