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— V —

Construite avec de gros madriers, la maison des Jésuites présentait un aspect étrange. Le rez-de-chaussée n’offrait aucun ornement ; mais assise sur des poutres dépassantes, sans autre support, une large galerie ceinturait le premier étage, bien abritée par le toit en pente douce qui descendait au-dessus d’elle.

De cette hauteur, dans l’ombre, Pierre et Ysabau regardaient couler le fleuve en cet après-midi de dimanche silencieux et vide. À côté d’eux, dans un fauteuil, était assis le père Bressani, maigre, décharné, les mains dans les manches de sa soutane, en une attitude de détente.

— Non, disait-il, vous ne pouvez savoir ce que c’est : le bonheur absolu dans le moment présent. Ne pas remuer ; ne pas parler ; regarder seulement un peu autour de soi ; ne rien regretter, ne rien espérer. Vivre seulement, exister ; et sentir en soi une plénitude de félicité parce qu’il y a des arbres, du soleil, de l’eau, de la chaleur surtout, du calme, quelques oiseaux, un vent léger. Avant, je ne le savais pas, moi non plus.

Aussitôt la messe entendue, Pierre et Ysabau, avec leurs deux enfants, étaient venus saluer le missionnaire. Et maintenant, tous trois, pendant que les bébés jouaient, ils causaient des derniers incidents : embuscades aux entours des fortins de Richelieu et de Ville-Marie, massacres de soldats et de colons. Aux Trois-Rivières, aucune flottille n’apportait plus de fourrures si ce n’est celle des Attikamègues qui apparaissait et disparaissait, prompte comme l’éclair ; sur un front de plusieurs centaines de milles, sous la futaie et sur l’eau, se poursuivait l’implacable lutte.