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les opiniâtres

Les hommes travailleraient en commun, leurs mousquets sous la main ; Ysabau ou bien Koïncha veilleraient sur eux. Au fort, les soldats tireraient un coup de canon et sonneraient le tocsin chaque fois qu’ils décèleraient un ennemi.

Ces mesures une fois concertées, ceux des Trois-Rivières s’éloignèrent ; puis ensuite les colons. Le jour s’éteignit ; et s’insinua dans la clairière le crépuscule de deuil ; arbres noirs, neige blanche. Pierre partit pour les bâtiments afin d’affourager les bêtes. Les pensées d’Ysabau dansaient leur ronde.

— Avec tous ces risques, il arrivera un malheur quelque jour ; lorsqu’il se produira, ce sera terrible. Je ne pouvais pas refuser : ces gens sont pauvres, ils ne possèdent que leur cognée, ils me regardaient. Si quelqu’un doit être frappé, que ce soit moi. Mais non, pas eux, pas les enfants ; ça, non, je ne peux pas le vouloir ; ils n’ont rien fait ; ils sont innocents.

Un cri de François la fit sursauter.

— Est-ce une vie ? tressaillir au moindre bruit, se retourner toute blanche, se précipiter vers la fenêtre, demeurer là à épier ?

Pierre ne revenait pas. « Mais que fait-il donc ? pensait-elle ; il peut être surpris dans l’ombre sans une chance de se défendre ».

Elle courut dehors, un châle sur les épaules. Quand elle se coula par la porte basse, Pierre revenait de la tasserie, une botte de foin au bout d’une fourche. Dans l’obscurité à peine dissipée par le fanal, les vaches ruminaient, douces et quiètes. Une vapeur tiède flottait sous les plafonds bas ; les murs suintants s’ornaient d’étoiles de givre.

— Reviendras-tu bientôt Pierre ?

— Oui, j’aurai fini dans un moment. Entre, Ysabau, il vient trop de froid, il faut refermer le portail.

Maintenant, dans cet antre, elle ne voyait plus la cabane. Elle pensait à ses enfants. L’Iro-