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il est inhumain d’obliger des hommes à vivre année après année dans un tel péril ; seuls résistent les saints ou les fous comme moi ». Une idée lui traversa l’esprit : « un peu d’encouragement, Pierrotin me proposait de déserter ». Il réfléchissait.

Pierre n’avait pas allumé de bougie. Livide, la clarté de la neige se déversait dans la maison. Le crépuscule s’éteignait sans rayons de lumière, étouffé sous un ciel gris.

« Six années perdues, pensa-t-il. Je suis revenu au point de départ. Pour tout mon travail, je n’ai à montrer que ce désert devenu gaulis. J’ai vieilli. L’Iroquois manque de persévérance dans la conduite d’un siège ; mais Nicolet, lui, ne sous-estimait pas sa ruse. Nous devrons nous garder. Et si la factorerie était prise d’assaut ? »

Ysabau revint. Les enfants entrèrent, réveillant de leur sabbat le sommeil de la maison. Vers neuf heures, quand le silence se fut rétabli, qu’ils furent assis tous deux, Ysabau et lui, devant le feu de l’âtre, Pierre résuma les propos du sergent Pierrotin. Puis il ajouta :

— Ysabau, pourquoi ne partirais-tu pas pour Québec aussitôt la navigation ouverte ? Tu emmènerais les enfants.

— Partir pour Québec ?

— Tu le sais, Ysabau ; le péril est grand : nous subirons un siège.

Ysabau était instruite de ces rumeurs. Elle voyait croître le découragement, s’affirmer la lassitude de cette lutte désespérée. Se replier sur Québec, abandonner même la Nouvelle-France, voilà les projets qui hantaient des esprits. Rien d’autre ne paraissait raisonnable.

Ysabau se leva ; elle allait et venait dans la pièce pour dissiper son énervement.

— Je te l’ai dit, Pierre : nous sommes pris dans cette affaire tous ensemble. Partiras-tu, toi ?