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les opiniâtres

— Se glisser dans le bois comme eux avec un mousquet, de la poudre, des balles, un sachet de maïs ; coucher dehors, fabriquer un canot, des raquettes sur place, au besoin ; dresser des embuscades aux ennemis, se mettre à l’affût autour de leurs villages, en tuer bon nombre.

— Tu le ferais, toi ?

— Bien sûr, répliqua l’adolescent irrité. Laisse-moi partir seul ; dans deux mois, je reviendrai avec au moins une chevelure iroquoise ; pourtant je n’y suis jamais allé.

François lança dans le feu une brassée de branches sèches qui flambèrent instantanément, éclairant sa figure anguleuse encore, énergique et calme. Puis il continua du même ton ferme, mais sans vantardise :

— C’est facile, papa, n’importe qui peut le faire. Mes amis et moi, nous rions parfois : l’Iroquois s’embusque sur la rive du fleuve, il se blottit sous les feuillus ; vous arrivez vis-à-vis en gribane, et là, vous ne savez plus quoi faire. Vous revenez.

— Et que feriez-vous ?

— Mais, papa, voyons, tu atterris en amont ou en aval. Tu t’enfonces dans le bois, toi aussi. Quand tu trouves l’Iroquois, il est terré derrière son arbre et toi, derrière le tien. Partie égale alors et tu le bats deux ou trois contre un. Place un Iroquois à un mille d’ici, et c’est moi qui le trouverai et c’est moi qui reviendrai vivant.

— Mais François, même pour cette guerre nous ne sommes pas assez nombreux. Nous serions parfois un contre dix.

— Oui, c’est vrai, il nous faudrait des troupes plus nombreuses, répondit François et il s’assombrit.

Mais cette conversation intéressa Pierre. « Cet enfant, pensa-t-il, ses amis, des Français arrivés jeunes encore, ils diffèrent de nous : ceux-là composent la génération grandie au Canada. Ils vivent sur le fleuve et dans la futaie comme dans une