Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
les opiniâtres

guer d’une première vue tout empêchement : souches, corps morts, marais, chablis.

— Le petit train train des scalps et des supplices n’émeut plus personne, disait-il ; rien à entreprendre sans une forte commotion.

— Oui, je vois bien, le remède ne proviendra que de l’extrême mal.

— Mais oui, justement, répondait Pierre Boucher ; l’affamé ne reçoit du pain qu’à la veille de mourir. Personne ne comprend avant. Je les devine les événements qui lèveraient toutes les susceptibilités qui barrent la route : tortures infligées à quelque haut personnage, sac de l’un des forts.

— Espérons que nous n’en viendrons pas là.

Pierre reconduisit son hôte. Cet entretien qui se rapprochait beaucoup de l’action l’avait rasséréné. « Les ministres à Paris se trouvent en face d’obstacles que nous ne discernons pas », pensait-il. Parfois, il se voyait sur le seuil d’un immense édifice durable. L’espérance tremblotait comme une lumière de bougie. « Ce serait trop beau », murmurait-il. Mais il se reprenait aussitôt : « Pourquoi pas ? ». Il s’endormit dans cet optimisme.

Mais Ysabau veillait ; plongé dans le sommeil, le petit poste s’enveloppait de silence. Elle attendait toujours, elle. Une heure, puis deux heures du matin. L’inquiétude la harassait. Reverrait-elle jamais son fils ? Où se trouvait-il en ce moment ? Ses larmes coulaient silencieusement ; sans effort, elles s’épanchaient sur ses joues, mouillaient ses oreillers. Ysabau demeurait couchée sur le dos, les deux mains croisées sur la poitrine, dans l’attitude dernière qu’elle assumerait.

Soudain, un chien aboya très loin. Elle fut instantanément debout. Elle débarra la porte. « François ». Elle l’étreignit. « François, mon petit François ». Puis elle le regarda. L’adolescent semblait plus fatigué que d’habitude, presque épuisé. Elle entassa sur la table les aliments de la dépense ; mais François marchait de long en large