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les opiniâtres

Tout le dôme du ciel s’était comblé comme une coupe d’un brouillard d’ouate lumineuse. Empanné dans ce paysage de blancheur arctique, le bâtiment se dessinait en noir goudron, voilure inerte. Fatigués par l’oppression de cette bourre immatérielle et froide, les matelots s’agitaient comme des fantômes. Et par vastes champs couleur de mercure, la mer, animée d’un mouvement de haut en bas, se soulevait et s’abaissait, comme sous l’effort de profondes respirations.

Le capitaine commanda d’ouvrir écoutilles et hublots. Des trois grandes chambres et des cales fusèrent des émanations méphitiques aussi épaisses qu’une fumée. Et surgirent l’un après l’autre, dans la pâleur de l’air, des êtres exsangues, dévorés de furoncles, pourris par le scorbut, à demi asphyxiés. Ils demeuraient étendus sur l’embelle, mal à l’aise, respirant cette vapeur qui adhérait à leurs poumons ainsi qu’une poussière aqueuse.

Affalé de fatigues, des fibrilles rougeâtres zébrant le blanc de ses yeux, le capitaine Jalobert observait la montée de cette procession. L’accoutumance l’avait endurci à ces spectacles. Mais Pierre de Rencontre demeurait stupéfait.

— Ce n’est pas un navire, c’est un hôpital, disait-il au capitaine.

— Nous touchons aux Grands-Bancs ; qu’une brise nous y pousse et la morue remettra tout le monde.

Le Don-de-Dieu avait quitté Saint-Malo depuis sept semaines. Au début, chacun avait consommé ses vivres frais, abattu ses animaux vivants. Bœuf et lard salé s’étaient ensuite épuisés ou ils avaient ranci ; le biscuit de mer s’était corrompu ; il fourmillait de vers. L’eau saumâtre rebutait les estomacs.