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les opiniâtres

nombreux que les Iroquois ne peuvent abandonner la partie sans une honte éternelle. Et ils s’acharnent brutalement, car ils ne savent ni creuser une tranchée, ni construire un mantelet, rien. Au paroxysme de la furie, ils demandent à leurs jeunes gens de se sacrifier ; quelques-uns acceptent. Ils forment la première vague d’assaut ; les balles l’abattent. Mais la seconde passe sur les cadavres. L’armée ennemie remplit la clairière ; elle arrache, elle coupe les palis car le fort n’a pas de bastions. Les morts s’accumulent. Dollard, le chef des Français, a une idée : lancer au plus épais des assiégeants un baril de poudre muni d’une mèche allumée ; repoussé par une branche, l’engin éclate à l’intérieur, parmi les soldats : presque tous ceux qui sont valides sont mis hors de combat. L’ennemi tire par les meurtrières abandonnées. Dollard tombe à son tour. La porte s’ouvre. Une dernière ruée des survivants ; l’arme blanche cette fois ; puis c’est la fin.

Le long du rivage, j’ai vu les poteaux ; au pied de chacun, le bois carbonisé dissimulait des ossements : ils avaient brûlé les cadavres.

Leur colère calmée, les Iroquois comptent leurs morts ; au pied du retranchement, ils forment remblai. La victoire a coûté dans les deux cent cinquante à trois cents guerriers, un tiers environ des effectifs. Les dix-sept jeunes soldats avaient calculé juste ; leur sacrifice épargne d’autres attaques à la colonie ; l’armée iroquoise rebrousse chemin. Ce ne sont pas des hommes qui habitent Ville-Marie, ce sont des saints.

L’assemblée se disperse très tard. Pierre s’éloigne en compagnie de son fils. Ils parlent peu. Pierre songe à ces immensités de pays fertile qui gisent très loin, dans le sein du continent. Ses instincts de Normand bâtisseur, fondateur d’empire, s’éveillent dans le silence de la nuit. Il pense aux hordes d’hommes qui devront s’abattre un