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les opiniâtres

luisaient ainsi que des yeux rouges ; des respirations s’entendaient. François distingua les deux soldats attachés sur le dos à des pieux, plantés dans le sol, en croix de Saint-André ; plus loin dormait Sébastienne enroulée dans une vieille fourrure. François coupa les liens des deux premiers ; il plaça la main sur la bouche de la fillette afin de réprimer brutalement tout cri ; enfin, il la souleva dans ses bras. En alerte, prêts à courir, les trois hommes enjambaient maintenant les corps des dormeurs. Arrivé sur la grève, François remit Sébastienne sur pied. Excitée, celle-ci fit deux ou trois pas, trébucha sur une branche sèche qui se brisa avec bruit.

François n’hésita pas : —

— Embarquez et sauvez-vous, cria-t-il.

Il saisit son mousquet, se retourna, ouvrit le feu sur une couple d’Iroquois qui se levaient sous les arbres. Puis il se jeta dans les halliers. Aucune chance d’échapper, pour personne, s’il sautait lui-même dans le canot : tous quatre formeraient cible au milieu du chenal tandis que l’ennemi se dissimulerait dans l’ombre des arbres.

— Ramez de toutes vos forces, cria-t-il encore, rendez-vous directement aux Trois-Rivières.

François n’avait plus qu’une idée : empêcher les ennemis d’atteindre le rivage tant que le canot ne serait pas hors de la portée des balles ; les empêcher de poursuivre tant que les fugitifs n’auraient pas gagné une heure d’avance.

Le combat commença. François devinait que ses trente adversaires s’insinuaient en pleines ténèbres entre les arbres, rampaient vers lui ; qu’ils guettaient le feu des détonations pour le viser à coup sûr et le repérer, qu’ils tenteraient de l’encercler sous le couvert de la forêt.

François tirait, puis il se glissait dans les aulnes, le long de la berge, tenant en vue la surface de l’eau. Un canot tenta le passage ; mais une détonation, et l’homme bascula dans l’eau. L’embarcation partit à la dérive en tournoyant.