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les opiniâtres

L’Algonquine surveillait maintenant le bourg ; dans la nuit commençante, des cris s’élevèrent ; comme si elle eût été sourde ou paralysée, Koïncha ne tourna point la tête. Elle ramassa quelques épis de blé d’Inde dans sa robe d’indienne relevée ; elle s’avançait à découvert, hardiment, au travers des mares et des champs de boue. Elle retrouva son canot dans un taillis ; elle le lança dans la rivière gonflée par les pluies et qui dévalait avec vitesse ; elle le maintenait le long de la rive, et, de sa pagaie, poussait en piquant le fond ; elle aborda, l’attacha à des racines.

En montant la berge, Koïncha glissa, tomba lourdement dans la boue. Elle se releva, visqueuse, regarda un moment ses mains, sa jupe. Après plusieurs tentatives inutiles, elle réussit à grimper. La pluie froide la lavait et la pénétrait. Elle atteignit la palissade dans l’obscurité, écouta, avança encore, se faufila entre deux palis pourris. Elle tomba en arrêt devant une hutte plus longue que les autres. Haute, étroite, sans fenêtre, celle-ci était lambrissée de larges plaques d’écorce d’orme gras maintenues en place par des voliges attachées à la charpente. La même écorce recouvrait le toit. Koïncha s’accroupit dans un coin sec pour la longue attente.

Sa figure demeurait si immobile, si dure, ses traits avaient si bien perdu le pouvoir d’exprimer une émotion, qu’elle semblait ne pas entendre les clameurs qui fusaient à quelques pas d’elle, ni les plaintes, tantôt aiguës, tantôt sourdes qui s’échappaient de la bouche des victimes suppliciées ; qu’elle semblait ne pas voir, par les interstices de l’écorce, le jaillissement rouge de plusieurs brasiers. Plus tard naquit un halètement profond : toute la souffrance de celui-là, elle ne s’indiquait que dans cette respiration saccadée. Koïncha tourna la tête ; son corps, sa figure se couvrirent de sueurs.