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les opiniâtres

— C’est un feu sur la Table-à-Rolland.

De bonne heure le lendemain matin, Pierre sauta à bas de son hamac. Enfin immobile en mer étale, le bâtiment reposait sur son ancre au milieu d’une crique sablonneuse bordée de forêt. Le soleil déjà chaud s’enlevait dans l’air. Sur le gaillard d’arrière, un matelot tout excité cria :

— L’île Percée ! l’île Percée !

Pierre entendit des pas de course. Il s’avança lui aussi et s’arrêta, saisi. La pointe du triangle de terre dans lequel se creusait l’anse, se haussait pour former un haut promontoire de roc gris aux flancs accores ; et la prolongeant à quelque mille pieds en plein océan, murant le ciel de sa masse rougeâtre, un long rocher taillé en forme de navire, la proue relevée, s’avançait vers le port. Dans sa carène érodée, creusée de cavernes par le heurt perpétuel des vagues, s’ouvraient, comme trois portails gothiques, trois géantes ouvertures qui donnaient vue sur l’autre mer ; une mince bande d’herbes couronnait le sommet lointain et, plus haut encore, goélands et cormorans voltigeaient en nuages indistincts.

L’autre extrémité de l’anse s’exhaussait de même manière ; façonnée en gros cap carré tout d’abord, puis montant et montant toujours, en zigzags et en angles déchiquetés, elle courait le long d’une falaise convexe et rouge, atteignait un pic rose, dénudé, dont il ne subsistait qu’une moitié, face au levant, face aux tempêtes de l’est.

Une seconde baie s’ouvrait sur l’autre côté de ce triangle de terre barré à sa base par un large mont massif, vu de flanc, taillé en musoir du côté du sud. On accédait à la large table du sommet, — la Table-à-Rolland, — par un tremplin boisé. Enrobé de conifères, le morne se carrait dans une atmosphère si pure qu’il semblait coiffé d’une cloche de verre.