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les opiniâtres

soleil, et qui s’amincissaient, se recroquevillaient, se bistraient, s’allégeaient de toute leur eau ; ou bien qui, entassées en moutons, — hautes piles circulaires semblables à de gigantesques roues pleines couchées sur le gravier, — obstruaient la plage pendant que s’accomplissait en elles une mystérieuse fermentation.

Et mouillés dans chaque baie, de nombreux morutiers oscillaient avec leurs mâts et leurs cordages ; les matelots s’occupaient sur les grèves à tourner et à retourner le poisson, à construire et à démolir les moutons, à transporter la morue sèche dans les cales ; biscayennes et gribanes allaient et venaient sur la mer ; au large, à chaque bout d’une île courtaude, des rangées de doris se balançaient à l’ancre au-dessus des meilleurs fonds ; des filets de fumée s’élevaient des baraques enfouies sous la futaie ; des rues dégringolaient des hauteurs. Long comme un pan de forteresse, le rocher roux subissait l’assaut des lames qui rejaillissaient sur ses flancs. Et, planant sur le tout, piailleurs, le bec jaune, des goélands aux ailes roides flottaient aux courants d’air, ajoutant la blancheur de leur plumage au rouge des falaises, au bleu foncé de la mer, au bleu pâle du ciel, au vert des forêts grimpant dans toutes les directions sur les hauteurs.

— M’avez-vous dit que la morue manquait ? demanda Pierre à un grand pêcheur maigre aux moustaches gauloises.

Celui-ci sourit imperceptiblement. « Venez avec moué », dit-il. Il les conduisit à l’embouchure d’un ruisselet, dénoua un câble, puis il hâla de vastes hannetons. Dans l’un, longs et forts, se profilaient, bien rangés, des saumons d’une taille comme Pierre n’en avait jamais vu, dans l’autre rampaient à reculons d’énormes homards au dos verdâtre. Indiquant la mer, le pêcheur dit :

— Vous pourriez en charger de pleins navires… En leur saison, les maquereaux rompent les filets,