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les opiniâtres

Ce matin de mi-avril s’était empli de pure lumière et de froid sec. Malgré la disparition de la neige, il restait mouillé comme après une pluie. L’eau séjournait dans les fondrières, une humidité suintait le long des troncs noirs ; et là-bas, l’immense fleuve exhaussé par la fonte des neiges, emplissait son lit jusqu’à la bordure de la forêt où se liquéfiaient des banquises échouées.

— Jérémie ! que ferons-nous de tout ce bois ?

Le Fûté regardait l’abattis. Sa conscience de serf rigoureusement disciplinée à l’épargne, ne se réconciliait pas au gaspillage. Et quand la provision de bûches de chauffage eut été entassée près de la cabane, que des stipes de pin ou de chêne eurent été mises de côté, il aurait voulu lier des falourdes, des cotrets, des margotins, fagoter enfin tout son saoul.

— On chaufferait tout un village.

Il soustrayait en sourdine au bûcher une pièce de bois à façonner un joug, une branche en forme de fourchet, un chéneau qui donnerait de bonne ganivelle. Aussi horrifié que s’il eût assisté à un sacrilège, il observait le jaillissement des flammes ; et jour après jour, il dut nourrir lui-même ce brasier.

Après le brûlage, au début de mai, Pierre et David Hache s’occupèrent à défoncer le sol. Le mol piaulis des oiseaux avait supplanté le dur croassement des freux. La feuillaison commençait ; elle engainait déjà les branches d’un nuage safrané. Entre les souches, les deux bêcheurs armés de hoyaux défonçaient à grands coups ce terreau forestier, gras, crémeux, boursouflé, un humus luisant et noir composé de bois pourri et de feuilles mortes en couches superposées. Ils employaient constamment le hachot parce que les racines déployaient un fort treillis dans le sous-sol et qu’au