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les opiniâtres

bas et se referma le manteau forestier, sans déchirure, qui couvrait le pays.

Assis à l’arrière, Pierre pagayait. Mais en face de lui, à ses pieds, toute rapprochée, Ysabau était étendue sur les fourrures. Dans l’espace de quatre ans, Pierre avait un peu oublié ce qu’était la beauté ; avec leurs cheveux grossiers, leur peau basanée, les Indiennes ne lui avaient pas formé un goût exigeant ; et, dans la solitude sylvestre, son amour avait atteint un fort degré d’intensité. Conditions favorables pour Ysabau ; cependant, elle n’en avait pas besoin. Pierre éprouvait un éblouissement. De prime abord, il ne distinguait pas tous les détails ; son regard la touchait, mais l’effleurait à peine, avec une légèreté de rayon, puis il se portait sur le rivage ou sur l’eau ; il revenait et tentait de s’habituer. Les yeux, la peau d’Ysabau émettaient de la lumière ; leur rayonnement l’offusquait. Il était aussi difficile pour Pierre de l’envisager tout de suite que d’observer le soleil.

La perfection des traits ne produisait pas seule cet effet. Certaines femmes la possèdent de même que l’éclat du teint ; mais leur beauté demeure froide, religieuse. La beauté d’Ysabau était ardente. Un fluide charnel semblait dissous dans ses yeux pers, parfois gris, parfois verts, larges et longs, mouillés ; dans ses cheveux couleur de miel d’automne, non pas ternes et morts, mais soyeux, luisants, vivants ; dans la chair de ses bras, de ses mains nus. Et c’était la phosphorescence de cette inconsciente sensualité qui faisait baisser les paupières comme devant un feu trop vif.

À cet âge de plein épanouissement, quand la femme est belle, qu’elle possède la grâce des gestes, des attitudes, la coquetterie de la toilette, l’homme, quel qu’il soit, se sent à ses côtés maladroit, terne, un arbuste disgracieux à côté d’un éclatant glaïeul. Et combien plus éblouissante encore Ysabau paraissait à Pierre, avec ses yeux