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ple, dès qu’il s’agit d’un conflit entre des laïcs et les supérieurs ecclésiastiques, alors, au moyen de la pratique si commode du secret de la procédure, on arrange toutes choses de manière à ce que, même si le supérieur a des torts, ce soient les laïcs qui paraissent avoir tort aux yeux de l’opinion. Tout homme qui a tant soit peu suivi la justice ecclésiastique arrive forcément à cette conclusion.

St. Grégoire le Grand blâmait bien fortement cette espèce de justice et agissait bien différemment de ce qui se voit aujourd’hui. Mais les vues larges et élevées de ce vrai grand homme et vrai grand pape sur l’impartialité nécessaire à toute application de la justice, ont été depuis bien longtemps mise de côté dans la curie romaine. Lui voulait que le plus humble chrétien eut tout son droit. Il pensait que le supérieur ecclésiastique qui pêchait contre la charité ou la justice devait être puni plus sévèrement que le laïc puisqu’il ajoutait le mauvais exemple à la faute. Il repoussait avec horreur l’idée d’un déni de justice à un laïc plutôt que de blâmer publiquement un supérieur ecclésiastique. C’est ce grand homme qui a dit, ce que St. Bernard a répété après lui, qu’il fallait « toujours dire la vérité dût-il en résulter du scandale, vu qu’il valait mieux produire le scandale que de céler la vérité, » et il pensait en conséquence qu’il était bien autrement scandaleux de faire une injustice que d’avouer les torts d’un Évêque. Mais ces hautes notions de la justice et du devoir se sont bien oblitérées chez ses successeurs ; et nous voyons aujourd’hui que non seulement on blesse un droit pour ménager l’amour propre d’un supérieur, mais que l’on va jusqu’à louer publiquement l’Évêque dont l’on a privément admis les torts ! !

Certes il doit nous être permis de dire qu’il y a de bien autres personnages que nous qui méritent les censures que l’on a infligées aux catholiques de l’Institut avec aussi peu de discernement que de respect des règles canoniques.

Votre Ém. me fait rappeler aussi que l’Annuaire de 1868 — c’est-à-dire le discours de moi qu’il renferme — contient tant d’erreurs qu’il a fallu le prohiber.

Si l’on a apporté à l’examen de mon pauvre discours la même maturité de travail et le même désir de rendre justice qu’on l’a fait dans notre question d’appel, je dois dire de suite que je suis fort tranquillisé sur la perversité des opinions que j’ai pu exprimer. Le tribunal qui a condamné mon discours est le même au fond que celui qui, sur notre question d’appel, est tombé dans les merveilleuses confusions de principes, d’idées, de questions, de personnes et de responsabilités que nous avons vues ; donc l’on peut sans grand crime se permettre quelques réserves sur la rectitude de la condamnation, mais il y a plus.

Cette manière de condamner un livre en l’absence de toute explication de la part de celui qui l’a écrit nous reporte encore forcément à ces malheureuses habitudes d’arbitraire que les hommes les plus éminents et les plus sincères du catholicisme ont de tout temps reprochées aux congrégations romaines.

Je sais bien que l’on affirme sérieusement, à Rome, que le livre se défend lui-même, mais cette prétention ne supporte pas l’examen, et il n’est pas nécessaire d’avoir une bien grande expérience des affaires pour comprendre à première vue qu’elle n’a été mise au jour que pour faire accepter l’arbitraire par ceux qu’une mauvaise raison persuade aussi facilement qu’une bonne.

Un passage d’un livre quelconque peut souvent, expliqué par un autre passage, ou par celui qui l’a écrit et en connaît la portée, avoir une signification toute différente de celle qu’un lecteur même de bonne foi a pu lui trouver à première vue. Si l’examinateur n’a pas suffisamment comparé ensemble les diverses parties du livre ; s’il n’a pas bien saisi la vraie pensée de l’auteur ; s’il a apporté dans son examen un peu de mauvais vouloir par suite de ces préjugés contre les personnes qu’il est si facile de glisser dans l’esprit des ecclésiastiques — ce