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dues familières les faunes des âges antédiluviens ? À qui doit-on toutes les sciences, en un mot : la chimie, l’optique, la dynamique, l’hydrostatique, la physiologie, l’anatomie, la botanique, la météorologie, l’astronomie, le calcul infinitésimal, l’algébre, les mathématiques, et enfin les arts utiles et la mécanique dans toutes ses branches : depuis l’immense machine à vapeur qui fait franchir au navire l’océan en huit jours jusqu’à la simple machine à coudre ; depuis la gigantesque presse d’imprimerie qui jette à l’intelligence publique 25,000 copies de journal à l’heure, jusqu’à l’imperceptible instrument qui découpe avec une précision mathématique une roue dentée d’une ligne de diamètre, partie essentielle d’une montre que l’horloger enchâssera dans le chaton de votre bague ?


XVIII


Qui donc a inspiré Pythagore et Démosthènes ; Platon et Sénèque ; Socrate et Cicéron : Descartes et Leibnitz ; Copernic et Kepler ; Newton et Galilée ; Colomb et Guttenberg ; Bacon et Pothier ; Franklin et Volta ; Laplace et Cuvier ; Morse et Stephenson ?

Toutes ces conquêtes, de la raison, dont je viens de donner une très incomplète nomenclature, démontrent-elles son impuissance à construire ? Les génies que je viens de nommer sont-ils apparus dans le monde en détruisant tout sur leur passage ? N’ont-ils pas au contraire été les vrais promoteurs du progrès des sociétés ? Ah ! il est vrai qu’ils ont détruit l’ignorance, combattu les préjugés, vaincu l’hostilité à la science et au progrès ! J’avoue que, sous ce point de vue, ils ont été de grands destructeurs !

Mais que l’on compare ce qu’ils ont détruit à ce qu’ils ont construit, que l’on compare les idées qu’ils ont introduites dans le monde avec celles qu’ils en ont fait disparaître, et on verra si la somme du bien l’emporte ou non sur la somme du mal ; on verra si la raison n’a prouvé sa force que pour détruire !

D’ailleurs, je le demande à tous ces faiseurs de diatribes : qu’est-ce que c’est que la raison ? Voici la réponse de M. de Lamartine. « La raison humaine est la confidente divine de la Providence sur la terre. Elle est, quoiqu’en disent les amateurs de ténèbres, la révélation continue des vérités dont la clarté s’accroît sans cesse sur l’horizon des peuples. »

Le nom de M. de Larmartine n’est-il pas assez orthodoxe, passons à ceux que voici.


XIX


St.-Augustin, St.-Thomas d’Aquin, Bossuet, Fénélon, Malebranche, n’avaient pas si mauvaise opinion de la raison humaine que tous ces petits St-Thomas en frac qui infestent nos rues. Car enfin, Messieurs, vous êtes tous comme moi à même d’observer ce phénomène ! Nombre de jeunes étudiants, aujourd’hui, après avoir lu cinquante pages de Domat et une ou deux brochures de Veuillot, se mettent à parler théologie comme Suarez et sont prêts à décréter d’impiété tous ceux qui ne les prennent pas au sérieux comme d’illustres docteurs de l’église ! Ils parlent de la raison d’autrui, de la raison générale comme si la fée de la raison elle-même les avait doués, au moment de leur naissance, aux dépens de toute leur génération !

Eh bien, les grands écrivains religieux que je viens de nommer, presque tous de vrais docteurs de l’Église, loin de mépriser en tout et partout la raison humaine, loin de l’humilier à outrance ; loin de nous apprendre que Dieu n’a départi la raison à l’homme que pour qu’il s’en débarrasse à un jour donné comme d’un accessoire inutile ; loin de lui imposer le suicide comme l’acte le plus sage qu’elle puisse réaliser ; lui reconnaissent au contraire des droits très étendus, tout en lui imposant certains devoirs, et voici les sublimes définitions qu’ils en donnent.

« La raison, » disent-ils, « c’est l’impression de la lumière divine en nous-mêmes » ! ou encore : « Elle est la lumière naturelle mise dans notre âme par l’illumination même de Dieu ! » Telles sont leurs propres expressions.

Va-t-on conclure de ces définitions si belles et si vraies, que la raison n’a aucuns droits dans le monde, et que le meilleur moyen d’en faire usage, de remplir les vues de la Providence, c’est de l’abdiquer ?