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doctrine ultramontaine, si elle venait à triompher dans le monde religieux, ferait sortir du catholicisme les peuples qui lui appartiennent, et empêcherait d’y entrer ceux qui ne lui appartiennent pas. » Je pourrais citer de pareilles opinions par vingtaines, émises par les plus illustres Évêques ; mais passons là-dessus puisque l’ultramontanisme a enfin triomphé il y a deux ans. Mais aussi que voyons-nous ? Précisément ce qui a été prédit par l’Archevêque dont je parle. On a définitivement éloigné ceux qui sont hors de l’Église, et nous voyons en sortir un nombre considérable de ceux qui lui appartenaient, dont une proportion très notable de prêtres. Les hommes sages et éclairés du dernier concile l’avaient aussi prédit, mais dans son aveuglement séculaire, la Curie romaine a passé outre. Tous les gouvernement avaient aussi notifié la Curie des mesures et de l’attitude que son opiniâtreté les forcerait de prendre, mais rien n’a pu l’arrêter dans ses projets de domination temporelle. Et qu’en est-il résulté ? Tous les gouvernements des pays catholiques ont dû briser avec l’ultramontanisme, de fait sinon dans tous les cas de parole ; et si quelques-uns d’entre eux ont un peu adouci leur action, c’était par pure considération personnelle pour un vieillard hautement respectable par son caractère et ses malheurs, mais qui, mal conseillé par les hommes aveuglés qui l’entourent, n’a subi que des désappointements amers et des défaites multipliées pour avoir voulu arrêter l’humanité sur la large route de progrès que la Providence lui a tracée.

Les flatteurs et les intéressés, ici et ailleurs, nous parlent sans cesse des victoires de Pie ix, mais les gens sensés ne voient là qu’un pur abus des mots, et surtout une fausse représentation pleinement préméditée. Des déclarations renouvellées de mois en mois mais repoussées partout, ne constituent certainement pas des victoires. Et d’ailleurs, de quoi le Pape se plaint-il donc dans chacune de ses allocutions ? C’est que ceux qu’il appelle « les méchants, » « les inspirés de l’enfer, » l’emportent partout. Or c’est nécessairement celui qui se plaint sur ce ton qui subit les défaites. On a sans doute la commode ressource de prédire qu’il se relèvera plus fort que jamais ; mais ceux même qui se permettent ces prédictions savent bien qu’elles n’ont d’effet que sur la foule ignorante et façonnée de longue main à ne lire que les productions ultramontaines.

L’aveuglement semble donc devenu irrémédiable, et il est évident à qui veut voir que l’on est pleinement résolu à ce qu’il ne reste rien debout dans le monde devant le parti clérical. Lois et codes, institutions et parlements, souverainetés nationales et libre arbitre individuel, tout doit subir l’idée ultramontaine et céder le pas aux représentants de celui qui leur a si formellement défendu la domination en tout ordre d’idées. Aux disciples qui voulaient faire punir une ville rebelle à leur prédication, il dit tout simplement : « Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez. » Il leur refusait donc le droit de dominer les consciences individuelles. Comment donc se fait il qu’aucune parole du maître n’a été aussi méprisée et persistamment violée par ceux qui prétendent appliquer sa doctrine ?

Et quand l’apôtre St. Jacques disait : « La loi du Christ est la loi parfaite de la liberté, » exprimait-il mieux, oui ou non, le vrai esprit chrétien que le Pape actuel, qui écrivait le 15 juillet 1860 : « que c’est une autorité usurpatrice qui ose proclamer que Dieu a fait l’homme libre de ses opinions religieuses. » Si les Disciples ne connaissaient pas l’esprit auquel ils appartenaient en voulant punir des gens rebelles à leur prédication, et si la loi du Christ est la loi parfaite de la liberté, pouvons-nous réellement regarder cette parole du Pape comme l’expression de la vérité ? C’est donc tout simplement une idée ultramontaine, mais ce n’est pas une idée chrétienne.

Car enfin, d’une personne à une autre, d’une intelligence à une autre, il ne saurait y avoir d’autre rapport possible que la parole et la discussion.