Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, deuxième série, 1915.djvu/37

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sées et fait naître une appréhension étrange.

Et pendant que les fantômes se lèvent dans mon cœur, les champs de neige se poursuivent dans une course éperdue ; l’épaisse fumée de la locomotive se tord, toute noire, le long du convoi ; un bébé souffrant jette des cris aigus ; un homme, à demi ivre, dort en ronflant sur une banquette voisine, sur laquelle il s’étale, laissant à peine de place à sa femme navrée, qui le regarde avec un dégoût suprême dans ses pauvres yeux éteints.

L’air manque dans ce train où s’entasse la misère humaine : l’ombre, peu à peu, l’envahit, et il court toujours, emportant tant de tristesse écrasante à travers tant d’espace désolé !

Enfin, nous arrivons, et quand l’air pur et glacé me frappe le visage, il me semble que je sors d’un danger, que je suis sauvée et délivrée… et je respire, je respire avec ivresse ! Quels pauvres êtres impressionnables nous sommes ! Il faudrait à chacun plus de raison, plus de simple bon sens, afin de n’endurer que l’inévitable de la vie. Nous dépensons des forces précieuses à souffrir en imagination ce qui n’existe pas, à resouffrir ce qui est passé et irrévocable…

Ces réflexions et la course rapide sur la route glacée ont commencé l’oeuvre d’apaisement : je ne regarde plus « en dedans », et je jouis de tout ce que je vois.

Nous filons, comme le vent, dans la neige qui brille : on dirait que c’est de la lumière