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LETTRES DE FADETTE

êtres dont la journée, commencée avant le lever du soleil, se continue dans les fabriques, les ateliers, les magasins pour se terminer dans cette bousculade affolée de six heures.

Hier soir, j’étais haletante de les voir tant courir ! Notre-Dame, à deux pas, m’ouvrait la sérénité de son abri, je m’y réfugiai.

Un parfum d’encens flottait encore dans l’air ; à la clarté diffuse des lumières isolées qui piquaient l’obscurité de petites étoiles, on apercevait les groupes dispersés dans la vaste nef, et dans le silence recueilli on percevait le bruit des pas amortis, et comme un murmure de prières, de glissement de chapelet, de soupirs, et, tout près de moi, je distinguai des sanglots.

Si près, que je saisis la silhouette de la jeune femme élégante dont le bruissement soyeux avait attiré mon attention dès son entrée.

Elle pleurait désespérément, comme on pleure devant l’irréparable. Elle n’était pas en noir, mais n’y a-t-il pas des morts plus tristes que celles qui nous revêtent de deuil ?

Et je pensais, remplie de pitié, que parmi les affairés et les fatigués que je plaignais tout à l’heure, plusieurs peut-être avaient jeté un regard d’envie sur cette jolie femme riche, qui passait légère à travers leurs groupes pressés. Dans un instant elle sortirait d’ici, la tête haute, cachant sous un masque serein le chagrin refoulé dans les