Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, première série, 1914.djvu/28

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ment et de tout cœur des jolis plaisirs que nous préparons pour ceux que nous aimons. Si, pour les leur procurer, il fallait nous priver un peu, tant mieux ! Nos cadeaux auront plus de prix et notre bonheur en sera doublé.


IX

Tristesse


Oui, je le sais trop, hélas, qu’il y a des jours où notre réserve d’énergie semble épuisée, où, nous levant tremblantes, nous sommes écrasées par le présent, craintives du lendemain, environnées par la tristesse qui d’abord répandue comme une fumée, se concentre et se masse, devient un être sombre, lourd, qui nous suit sans se lasser. Aucune porte ne l’empêche de marcher à nos côtés : sur nos talons, il parcourt les corridors et les escaliers, les allées silencieuses du jardin dépouillé ou les rues bruyantes où nous cherchons à l’égarer. Partout nous nous sentons seules avec lui, et à la merci de sa cruauté. Il nous obsède, il nous persécute ; il redit durement les mots qui vrillent le cœur ; nous souffrons horriblement, et plus nous allons, plus s’agrandit la plaie, plus s’enfonce la vrille qui travaille dans la chair vive. Pour celle-ci, c’est un regret, pour celle-là, un remords, pour l’une l’inquiétude angoissante d’une existence menacée, pour l’autre l’affolement de la séparation récente… et le pauvre cœur humain tourmenté, épuisé, se sent parfois si