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Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, quatrième série, 1918.djvu/107

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famille pendant trois générations. Elle est morte heureuse, en nous bénissant de l’avoir aimée, elle, la toute bonne, qui ne connut d’autre joie que de se dévouer en nous servant fidèlement.

Elle m’a souvent parlé de son rouette, comme elle disait ; il lui venait de sa mère qui le tenait de la sienne. Il est bien vieux, et il nous dirait de longues et belles histoires si nous l’interrogions. Que de mains ont fait tourner son fuseau, que de pieds ont pédalé pour faire chanter sa roue.

Le lin, la laine, les jours ont été filés et ne sont plus, et le vieux rouet, silencieux dans la pénombre, me fait penser à l’heure où je serai aussi, l’une du passé, dont ils rêveront, ceux qui resteront, en se faisant mille questions et en évoquant mon fantôme qui ne leur répondra pas.

— Ce rouet, c’est le passé de la brave famille pour laquelle il travailla si joyeusement, c’est aussi le passé de notre race qui ne cultive plus le lin et qui commence à dédaigner de filer la laine.

Je n’ai qu’à me souvenir des récits de ma vieille Marie pour voir l’humble demeure des champs, peuplée d’enfants, dont la mère pourvoyait à tous les besoins : langes pour les bébés, droguet pour les robes, étoffes épaisses pour les hommes, toiles pour les lits, catalognes pour les planchers, bas, chaussures, chapeaux, la mère filait, tissait, tricotait, cousait, tressait ; tout passait par ses mains actives et ingénieuses qui ne se reposaient guère.