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LV

Les prisons


Le Soleil a enfin conquis l’hiver, et sous la force et la persistance de ses rayons, la glace qui recouvrait la rivière se laisse envahir par l’eau qui essaie d’échapper à sa prison. Sur les bords c’est un émiettement, et des morceaux commencent à se détacher, pendant que le travail invisible prépare la grande débâcle, où les vagues, enfin libres, charrieront avec grand fracas les énormes blocs brisés qui fondront dans le torrent.

Joyeuse et étincelante, la rivière reprendra sa course caressée par le soleil libérateur. Sous sa couverture blanche, elle était dans l’obscurité, et quelle prison est plus redoutable que la prison obscure. C’est pour échapper à l’obscurité que le grain sort de terre, que le bourgeon devient fleur, et je pense, ce matin, que c’est pour échapper à l’obscurité que nos idées cherchent sans cesse l’occasion de s’extérioriser dans l’action.

L’âme enveloppée dans le brouillard des vérités vagues, à peine perçues, cherche la clarté dans l’action et c’est ainsi qu’elle devient libre. L’âme inerte est toujours captive et retenue dans les ténèbres où elle dépérit, l’âme active cherche d’instinct la lumière, et ses erreurs même l’y conduisent.

Je vois toutes nos qualités au fond de nous, s’agitant pour se faire jour, comme la