Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, quatrième série, 1918.djvu/167

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moi ses yeux graves et doux. — Ton bébé dort ? — Oui, il est malade ! — Laisse voir, je connais ça, moi, les bébés malades. — Elle hésite puis voyant que je ne plaisante pas, elle découvre, non une poupée, mais une branche de bois tordu entourée d’un chiffon et qu’elle manie avec des délicatesses touchantes de petite maman. Je me garde bien de sourire en donnant la consultation, et je m’éloigne auprès avoir fait une caresse à la petite fille rose et au bébé de bois.

Et voilà que j’aurai beaucoup de choses à vous dire et que je vous ferai admettre avec moi que nous ressemblons tous à cette enfant : nous berçons dans nos âmes des chimères et des illusions que nous cachons bien à tous, mais dont nous vivons et qui, si peu substantielles, pourtant, alimentent nos forces morales.

Ô petite fille sage ! En berçant cet objet informe auquel tu prêtes ta petite âme d’enfant aimante, tu oublies que ta mère est pauvre, que d’autres fillettes ont de belles poupées qu’elles aiment moins peut-être que tu n’aimes ce bout de branche trouvé au bord du fossé.

Et nous, en donnant à nos pauvres chimères la vie de nos grands espoirs, nous oublions le vide que laissent toutes les déceptions. Combien de cœurs blessés verraient en eux s’éteindre toutes les lumières si l’illusion recréée, qui ne demeure pas, mais revient toujours, n’accrochait, au-dessus des cendres du passé, tous les espoirs de