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Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, quatrième série, 1918.djvu/19

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chaleur avait ramené l’été des sauvages, doux, voilé, d’une grâce mélancolique si profondément belle ! Le village silencieux paraissait dormir dans cette fin de jour : le départ de tous les chasseurs pour la grande saison rendait la bourgade singulièrement tranquille. En pays sauvage ou en pays civilisé, on accuse volontiers les femmes d’être bruyantes, mais là ou ici, que les hommes disparaissent et on n’entend plus rien. Je n’essaie pas d’expliquer le phénomène, je le constate.

Ces réflexions ne préoccupaient pas Ourontinouconeu (Petite Lumière), qui, d’un pas lassé, revenait à la bourgade en longeant le fleuve. Une inquiétude voilait ses yeux sombres ; elle marchait sans voir, ne regardant qu’en elle-même, indifférente aux grandes vagues murmurantes, au vol des mouettes, à la chanson des arbres qu’un vent léger balançait avec un froissement doux de feuilles sèches qui tombent. Elle était si absorbée qu’elle passait, sans le voir, près du Père Richard qui l’arrêta pour lui demander de quel côté chassait son père. — Par là, fit-elle brièvement en étendant le bras vers le nord, et elle continuait son chemin, mais le vieux prêtre posa légèrement la main sur son bras pour la retenir : — Qu’as-tu, mon enfant ? On t’a fait du chagrin ? — Et la voix cassée s’était faite si paternelle pour prononcer les mots de l’idiome étranger, que la jeune fille releva la tête et une expression ardente fit étinceler ses