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Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, troisième série, 1916.djvu/22

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LETTRES DE FADETTE

res heures d’Avril. — Il fallut pourtant se mettre au travail, surveiller le feu, guetter la cuisson du sirop, répondre aux hommes affairés, préparer le repas… Marie-Anne avait tout juste le courage d’être là, de se taire et d’obéir machinalement aux ordres de son père.

Elle ne pouvait se distraire de cette obsession du chagrin récent qui nous prend tout le cœur, tout l’esprit et jusqu’aux pensées par lesquelles nous espérions y échapper, qui les tourne et retourne à sa manière et nous fait mal avec. Tout devient douloureux alors, et les grosses plaisanteries des travailleurs donnaient à Marie-Anne l’envie de sangloter.

— Que veut dire l’abandon de Pierre depuis trois semaines ? Elle en goûte l’amertume jusque dans la petite musique fine des gouttes d’eau tombant, pressées, dans les chaudières vides, car leur refrain lui rappelle l’an dernier, la partie de Sucre où Pierre et elle ont découvert leur mutuelle sympathie.

Son cœur franc et clair comme l’eau des sources s’est donné avec la confiance d’une enfant, avec la tendresse d’un cœur jeune privé des caresses maternelles, et c’est à travers son pur amour qu’elle a vu un Pierre chimérique, à qui elle a prêté ses qualités à elle, sans se douter, la pauvre petite, que Pierre est d’une autre race qu’elle au physique et au moral.

Et pourtant… elle a senti obscurément cette différence entre eux ; sans vouloir se